Semeria Marine

Marine Semeria : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’ ****** sans jamais oser le demander.
Marine Semeria est une spéculatrice. Mais au lieu d’actions et de titres, elle spécule sur des images, des idées et des affectivités. Puisant dans le monde qui l’entoure – le système économique et social complexe du début du XXIe siècle –, elle en retire une matière qu’elle détourne et parodie, pour mieux en comprendre les (dys)fonctionnements. Au même titre que les orientations sexuelles, les tendances politiques, les vilaines histoires de famille, etc., l’argent est un sujet que l’on préfère taire entre « bonnes gens ». Par pudeur, complexe, dégoût, ou ignorance ? Ce consentement tacite n’a pas échappé à Marine Semeria, ni le paradoxe d’une société française où l’argent est partout étalé dans ses grandes largeurs, et pourtant passé sous silence lorsque l’on en vient à évoquer des finances domestiques, certes beaucoup moins vertigineuses. Alors l’artiste met les pieds dans le plat et se plaît à ausculter la gêne que suscitent les questions telles que « Combien ça coûte ? », « Combien ça rapporte ? » et autres interrogations embarrassantes. Le point de vue qu’elle adopte se place néanmoins davantage du côté du débiteur intempestif que du banquier. Le sien, de banquier, lui a d’ailleurs poliment rétorqué qu’il devait « clôturer la relation client », à la suite d’un ingénieux tour de passe-passe de l’artiste qui s’est faite millionnaire le temps de quelques heures, en émettant un chèque d’un million d’euros à son propre ordre (Millionnaire, 2013). Après tout, n’est-ce pas ainsi que tourne le monde de la finance, par ordre dématérialisé donné à distance ? Mais n’est pas boursicoteur qui veut : on ne plaisante pas avec sa banque quand on est un petit épargnant, et l’économie réelle rappelle à l’ordre ceux qui voudraient changer de vitesse.
La jeune artiste pratique avec ingéniosité la « naïveté désarmante », une feinte implacable qui retourne le coup, avec un air de ne pas y toucher. L’art de son presque « sport de combat » consiste à extraire le plus innocent des symptômes d’un mal et à le rendre séduisant... avant le retour de bâton. Ainsi des Architectures de billets (2014) – soient les dessins isolés des monuments et bâtiments remarquables qui figurent sur les billets de banque et exaltent les valeurs nationalistes – : par des raccourcis saisissant, leurs sous-titres associent une architecture à une valeur dérisoire (20 rupees, 25 piastres ou 50 roubles) et illustrent l’effort collectif auquel sont soumis les contribuables pour rembourser les dépenses somptuaires payées à crédit par les États. Puisque ce serait peine perdue que de chercher à dégager le sens d’un système économique et social absurde, Marine Semeria préfère surenchérir par l’absurdité. Le burlesque n’est jamais loin : la figure de style de « l’arroseur arrosé » lui fournit à loisir des occasions de se moquer de l’ordre établi, comme lorsqu’elle « fabrique » un faux billet de banque à partir d’un vrai qu’elle rapporte à la Banque de France (Specimen, 2013), ou qu’elle copie un tableau de faussaire (White collar, 2012).
On songe aisément devant son oeuvre aux positions et modes opératoires des Anonymous ou des lanceurs d’alerte. Comme eux, elle flirte avec les limites de la légalité : un peu de vol, de socles (Socles, 2013) ou de logos (Série Rainbow, 2013 ; sans titre (TNT), 2014), pour plaire à Proudhon et à Robin des Bois ; une touche de fraude (faux Solitaire, 2013) ; un goût appuyé pour la transparence et l’hyper visibilité, à l’instar de Made in Bangladesh (2014) – des étiquettes de vêtement recousus sur la poitrine – ou de 500 € (2012) – 50 000 pièces d’1 centime d’euro étalées sur le sol.
Les jeux d’argent – bourse du pauvre qui toujours perd, c’est statistique, mais aussi puits sans fond à fantasmes – stimule également son inspiration. Mais pas de hasard dans sa production : l’idée est toujours soumise à une dissection en règle et formulée en termes plastiques soigneusement décidés, qui souvent redoublent l’intention.
Pour Jeux d’argent (2015) par exemple, elle extrait les formes abstraites des jeux à gratter de la Française des Jeux, et les révèle en négatif par le même geste addictif du grattage de papier. Ou encore dans Euros display (2015), les objets de bazar à l’effigie des billets de banque sont présentés sur un socle dont le profil dessine une courbe de marchés financiers. Marine Semeria cède aussi à la tentation des images esthétisantes et au plaisir de la belle peinture, qu’exemplifie 5 gulden 1973 (2014) – la reproduction peinte du motif moderne par excellence du billet néerlandais.
(extraits)
Laetitia Chauvin
Avril 2015
Marine Semeria: Everything you always wanted to know about ****** but were afraid to ask.
Marine Semeria is a speculator. But instead of actions and titles, it speculates on images, ideas and affectivities. Drawing from the world around her – the complex economic and social system of the beginning of the 21st century – she draws from it a material that she diverts and parodies, to better understand its (dys)functions. Like sexual orientations, political leanings, ugly family stories, etc., money is a subject that we prefer to keep quiet between "good people". Out of modesty, complex, disgust, or ignorance? This tacit consent has not escaped Marine Semeria, nor the paradox of a French society where money is everywhere spread out in its great widths, and yet passed over in silence when it comes to evoking domestic finances, certainly much less dizzying. So the artist puts his feet in the dish and likes to auscultate the embarrassment aroused by questions such as “How much does it cost? ", "How much does it pay? and other embarrassing questions. The point of view that it adopts nevertheless places itself more on the side of the untimely debtor than of the banker. His own, as a banker, politely retorted that he had to "close the customer relationship", following an ingenious sleight of hand by the artist who made himself a millionaire for a few hours, issuing a check for one million euros to his own order (Millionnaire, 2013). After all, isn't that how the world of finance works, by dematerialized order given remotely? But there is no trader who wants to: you do not mess with your bank when you are a small saver, and the real economy calls to order those who would like to change gears. The young artist ingeniously practices “disarming naivety”, an implacable feint that returns the blow, with an air of not touching it. The art of his almost "combat sport" consists in extracting the most innocent of the symptoms of an illness and making it seductive... before the backlash. Thus Architectures de billets (2014) – the isolated drawings of remarkable monuments and buildings that appear on banknotes and exalt nationalist values –: by striking shortcuts, their subtitles associate an architecture with a derisory value (20 rupees, 25 piastres or 50 roubles) and illustrate the collective effort to which taxpayers are subjected to reimburse the sumptuary expenses paid on credit by the States.
Since it would be a waste of time to try to find the meaning of an absurd economic and social system, Marine Semeria prefers to outbid by absurdity. The burlesque is never far away: the figure of speech of the "watered sprinkler" provides her with opportunities to mock the established order, as when she "makes" a fake banknote from a real one that she brings back to the Banque de France (Specimen, 2013), or that she copies a forger's table (White collar, 2012). One easily thinks in front of his work of the positions and operating methods of Anonymous or whistleblowers. Like them, she flirts with the limits of legality: a little theft, bases (Socles, 2013) or logos (Rainbow series, 2013; untitled (TNT), 2014), to please Proudhon and Robin des Wood ; a touch of fraud (false Solitaire, 2013); a strong taste for transparency and hyper-visibility, like Made in Bangladesh (2014) – garment labels sewn on the chest – or €500 (2012) – 50,000 1 cent coins euro spread out on the ground.
Gambling – the purse of the poor who always loses, it is statistical, but also a bottomless pit of fantasies – also stimulates his inspiration. But no chance in its production: the idea is always subjected to a regular dissection and formulated in carefully decided plastic terms, which often double the intention.
For Jeux d’argent (2015) for example, she extracts the abstract forms of the scratch games of the Française des Jeux, and reveals them in negative by the same addictive gesture of the scratching of paper. Or in Euros display (2015), bazaar objects in the effigy of banknotes are presented on a base whose profile draws a curve of financial markets. Marine Semeria also gives in to the temptation of aesthetic images and the pleasure of beautiful painting, exemplified by 5 gulden 1973 (2014) – the painted reproduction of the modern motif par excellence of the Dutch banknote.
(excerpts)
Laetitia Chauvin
April 2015