Guilbaud Géraldine

"La couleur sculptée"
Il y a, aujourd’hui, plus d’artistes qui pratiquent l’installation ou le volume que d’artistes qui se revendiquent sculpteurs et continuent à travailler un objet tridimensionnel pour que l’on tourne autour. Il y a aujourd’hui plus d’artistes qui travaillent avec des objets à l’apparence manufacturée que de sculpteurs utilisant la taille et le modelage – c’est comme cela et il n’y a pas à polémiquer. Géraldine Guilbaud fait partie de ces quelques-uns. En plus de cela, elle pratique une sculpture figurative qui la place dans un héritage artistique de plus de 30 000 ans au caractère universel. C’est là son ambition, toute son ambition – rien que cela !
Donc Géraldine Guilbaud réalise des sculptures figuratives, souvent expressives, voire expressionnistes, au caractère grotesque, voire caricatural et, surtout, en couleur. J’ai écrit en couleur et non pas colorées car Géraldine Guilbaud tient à cette distinction. Il n’y a pas une forme sur laquelle la couleur serait ajoutée a posteriori, mais une forme qui est sculptée – modelée et taillée – par des matériaux déjà colorés – mortier ou tissu. Cette distinction importe dans le sens où la réalisation de la sculpture dépend autant de phénomènes fondamentalement matériels tels que la masse et le relief au caractère physique très tangibles que d’autres plus fuyants, plus virtuels que sont la couleur, sa tonalité, son intensité, les rapports de ton… C’est donc dans et avec la couleur qu’elle modèle et taille ses volumes.
On ne peut pas dire qu’il s’agit de la matérialisation tridimensionnelle d’une peinture, mais ses sculptures ont une apparence picturale, jouent autant avec la surface colorée qu’avec le volume et c’est là ce qui l’éloigne de Lüpertz, de Baselitz, d’Étienne-Martin ou de Balkenhol où la couleur n’est qu’un ajout qui modifie assez peu la perception du volume – ce qui n’est en rien une critique de leurs travaux, mais une simple constatation. Et l’on pourrait voir dans la modulation presque rodinienne qui est opérée de la surface autant une manière d’accrocher la lumière et de faire vibrer le volume, qu’un équivalent de la touche dans une peinture – aussi bien qu’un va-et-vient constant entre l’un et l’autre – et c’est là ce qui l’éloigne des masques et crânes du Vanuatu où l’on retrouve les matériaux colorés mais où la relation à la peinture est évidemment absente.
C’est dans cette relation à la peinture que se trouve l’originalité de cette pratique car si Géraldine Guilbaud fait des sculptures fortement figuratives, la couleur, la surface colorée et les rapports de ton déréalisent en partie ces figures, les transforment, sous certains angles, en abstraction. Ainsi, une tête devient une composition presque frontale et un tas représentant de l’herbe se transforme en une surface monochrome extrêmement modulée et c’est par cette ambiguïté de ces surfaces-reliefs que ce travail s’éloigne de tout primitivisme ou de tout revival expressionniste.
Éric Suchère
Eric Suchère, écrivain et critique d’art, catalogue du 59e Salon de Montrouge, février 2014.