Buckman Samuel
Né en 1972 à Saint-Omer (62)
« ... toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien.»
Racine, Préface de Bérénice
Me défiant de l’image, je m’attache à créer les conditions de la vue : rester entr’ouvert pour espérer (risquer) entrevoir le monde. Je travaille sans préméditation, dans l’élan d’une promenade, en récoltant des objets rebuts, en me laissant traverser par une rencontre ou un mot... Je demeure dans une économie, tant de l’objet, du regard que du geste. Les matériaux sans valeur - des médicaments devenus substances à dessiner, des clous rouillés assemblés en sculpture, une poutre, de la cendre, un cageot, une pièce de puzzle - une fois reconsidérés par et dans le geste, constituent la matrice d’une recherche plastique poursuivant la modestie des formes au détriment du manifeste. Ces formes toujours modestes rejoignent tantôt le champ de l’installation, de la sculpture, quand il ne s’agit pas de photographies, de vidéos ou de dessins. Le geste, résolument, ouvre. Depuis 2012, j’éprouve et explore un travail de dessin au quotidien, dans une forme de commande adressée à moi même : réaliser un dessin par jour et le publier. Ces feuilles constituent autant de traces de ce qui surgit ou s’enfuit, de ce qui advient ou disparait, de ce qui nous traverse. Elles offrent quelques fragments ou sédiments d’un monde qui n’apparait que dans l’instant suspendu d’une vision. Modestes et discrètes, les formes que je propose s’efforcent de révéler autant de points sensibles, à l’image du punctum évoqué par Roland Barthes, cet élément qui part de l’œuvre « comme une flèche, et vient me percer », envisagé encore comme «piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure – et aussi coup de dés».
Fin 2019, j’ai initié une nouvelle voie de recherche, une ouverture à la peinture que depuis longtemps je m’étais formulée, revenant à une pratique que j’avais mise de côté lors de ma troisième année à l’école des beaux-arts en 1994 au profit de la photographie, de la vidéo, du volume et du dessin.
Je peins comme je dessine chaque jour, dans une forme d’attention aiguë doublée ici d’une lenteur essentielle, vecteur d’une sédimentation nourrie de tensions, de soulèvements, de télescopages, de réminiscences, de projections, d’inconnues. Mes premières peintures se nourrissent de bruissements et de ruminations de notre monde contemporain, dans un partage avec la pensée d’auteurs et de chercheurs travaillant sur des notions en mouvement, récurrentes et pourtant en perpétuelle mutation : la pauvreté, le travail, la fragilité du vivant, les flux migratoires, l’impermanence... Mon travail s’élabore également d’un rapport ouvert au langage, politique, poétique, équivoque. La graphie des mots a laissé les formes du dessin advenir au-devant de glacis superposés, premier pas vers la géologie de la peinture.